Élue il y a maintenant seize ans à la tête de la première ville du Pas-de-Calais, Natacha Bouchart termine son troisième mandat face à des opposants divisés et une majorité qui doute depuis la succession des scandales qui ont provoqué la démission de son premier adjoint Emmanuel Agius (voir la saison 1 de la Coulisse). Ce dernier incarnait une droite « dure » qui flirte avec les thématiques du FN devenu RN. Le maire elle-même ainsi que son plus ancien conseiller, Claude Demassieux, ont un parcours qui résonne avec celui d’un autre personnage issu des mêmes rangs gaullistes et qui a incarné les espoirs du Front à Calais : François Dubout. Histoire d’une vieille passion entre les droites.
A Calais, la mairie est au PC, la circonscription au PS, et la droite ramasse les miettes
Calais, printemps 2008. Jacky Hénin a succédé en 2000 à Jean-Jacques Barthe, maire communiste depuis 1971… A la tête d’une liste d’union de la gauche, il peut se targuer d’un bilan dynamique. L’éternel et malchanceux opposant Claude Demassieux (UMP) a renoncé à se présenter après plusieurs défaites contre les candidats de gauche. Il orchestre la campagne de Natacha Bouchart, son ancienne attachée parlementaire et salariée de l’école privée Saint-Pierre qu’il a longtemps dirigée. A Calais, la mairie est au PC, la circonscription au PS, et la droite ramasse les miettes. Elle n’a élu qu’un député (Claude Demassieux) à la faveur du raz-de-marée des élections législatives de… 1993. Celle qu’il a choisie pour lui succéder commence par enchaîner les défaites : aux législatives de 2002 et de 2007.
Natacha Bouchart parvient toutefois à se faire élire sur la liste de droite au Conseil régional en 2004. Dans les commissions, elle y croise François Dubout, élu sur la liste FN tirée par Carl Lang. Calaisien, artiste notoire de revue patoisante, musicien de haut rang, souverainiste de la rive droite, c’est un homme de réseau, parfois iconoclaste et turbulent. « On échangeait régulièrement avec Natacha Bouchart sur l’avenir économique de Calais » raconte le sexagénaire établi depuis quelques années à l’étranger. La version de Natacha Bouchart est à rebours : « je n’avais pas de contacts particuliers en commission avec François Dubout, pas plus qu’en-dehors de mon mandat de conseillère régionale d’opposition » nous déclare-t-elle.
Rencontre avec le FN
Les municipales approchent et les deux élus régionaux nourrissent des ambitions pour la ville. « J’ai monté une liste soutenue par le FN. On devait avoir 10 candidats cartés FN sur 49 colistiers. Il y avait des souverainistes, des écologistes indépendants venant de chez Antoine Waechter et quelques chasseurs » raconte François Dubout. J’ai financé seul » précise-t-il encore. Entre les deux tours, et fort d’un score de 12,35 % synonyme de capacité à se maintenir au second tour, il rencontre à Coquelles, Claude Demassieux qui l’éconduit « brutalement ». La rencontre dure moins d’une heure.
Natacha Bouchart le reconnaît aujourd’hui pour la première fois : « En 2008, dans l’entre-deux tours des élections municipales, il y a effectivement eu une rencontre entre Claude Demassieux, mon directeur de campagne, Emmanuel Agius et François Dubout. En revanche, il n’a jamais été question d’une éventuelle fusion de listes comme cela arrive parfois dans une telle configuration. A l’époque, ma position était tout aussi inflexible qu’aujourd’hui : on ne transige pas avec le Front National. Fidèle à mes convictions, j’ai donc préféré prendre le risque de perdre – je rappelle que j’avais près de 400 voix de retard sur Jacky Hénin au soir du premier tour – plutôt que d’optimiser mes chances de victoire en passant un accord. C’est donc avec les valeurs qui me guident depuis le début de mon engagement politique et avec la même liste au second qu’au premier tour que j’ai été élue en 2008 ». Natacha Bouchart oublie une quatrième personne autour de la table : l’avocat Philippe Bernard, directeur de cabinet de Bruno Gollnish, à l’époque n° 2 du FN.
Relations tendues
Natacha Bouchart oublie aussi que le report des voix de François Dubout fonctionne à plein tandis qu’à gauche, la liste des écologistes n’appelle pas à voter pour le maire sortant. La triangulaire lui aurait été défavorable. « J’ai présenté deux scenarii à mes colistiers. Soit on se maintenait et on faisait gagner Jacky Hénin ; soit on se retirait et on pouvait donner une bouffée d’oxygène à Calais » explique l’ancien du Front National. François Dubout ne maintient pas sa liste et appelle à battre Jacky Hénin.
Natacha Bouchart l’emporte ainsi avec une avance de 2 500 voix. François Dubout en avait fait plus de 3 500 au premier tour. Il est le principal levier de la dynamique d’entre les deux tours. La politique est faite d’ingratitude : victorieuse, Natacha Bouchart coupe les ponts avec François Dubout. « L’avoir fait élire est la plus grande erreur de ma vie politique » confesse aujourd’hui l’homme.
Pour autant, les élections passées, François Dubout conserve de bonnes relations avec… Emmanuel Agius, à l’époque seizième sur la liste de Natacha Bouchart. « C’est le seul à m’avoir remercié de les avoir fait élire ; je voulais les aider. J’avais pris rendez-vous avec Wilmotte, le maire d’Hautmont qui avait fait des opérations ANRU. Je voulais qu’il nous [François Dubout et Emmanuel Agius, ndlr] montre comment il s’y prenait vu qu’à Calais, on allait entrer dans ce dispositif » raconte l’ancien candidat. Mais celui qui entendait jouer le rôle d’intermédiaire renonce. « Agius s’est décommandé trois fois au dernier moment ». L’homme est déçu. Face à lui, un mur : Claude Demassieux.
L’ombre de Claude Demassieux
L’ancien et éphémère député de Calais est devenu après la victoire le directeur de cabinet de Natacha Bouchart au grand dam de ses colistiers de gauche. Claude Demassieux tient sa revanche sur les communistes, lui, issu d’une famille de communistes dont le père, Syllas, docker et militant syndical, était bien connu dans le quartier des Cailloux. Parmi les gosses de ce quartier, François Dubout. « Le père Demassieux était un personnage. Il m’a invité aux 50 ans de son mariage. Y avait Barthe (l’ancien maire PC 1971 – 2000) aussi. C’était de grandes fêtes » se souvient François Dubout. Avec Demassieux, la rivalité est féroce.
Gaulliste traditionnel, Dubout bénéficie d’une très forte légitimité : « je suis le fils de p’tit Louis de Peuplingues (un petit village à coté de Calais). Mon père est issu de la résistance. Mon demi-frère a été maire du Xe arrondissement de Paris, mes parents accueillaient les Chaban-Delmas quand ils venaient à Calais » égrène l’homme. Claude Demassieux (qui n’a pas donné suite à notre demande d’entretien) ne peut opposer que sa volonté et son travail acharné pour devenir, au fil des décennies, l’opposant « officiel » aux communistes à Calais. Dans la ligne gaulliste avec Jean-Paul Delevoye, l’homme cultive ses réseaux jusque Matignon pendant les années Juppé. Conseiller régional, conseiller général, il centralise les fonctions au sein du RPR, puis de l’UMP.
De son coté, François Dubout sort d’une période d’engagement au RPF, le parti fondé par Charles Pasqua au début des années 2000. Le RPF dissout après les déboires du vieux gaulliste, il revient au RPR : « Juppé m’a écrit pour me féliciter de ce retour. Quelques semaines plus tard, Claude Demassieux et Jean-Paul Delevoye m’excluent » pique l’ancien militant.
Calais est une chasse réservée pour la droite. Natacha Bouchart est la fille de Maurice Keuroglanian, ancien trésorier du RPF et proche de l’ancien ministre de la fonction publique et président un temps du RPR Jean-Paul Delevoye. Ce dernier l’a cornaquée quelques années avant de l’envoyer chez Claude Demassieux alors député. La suite lui a donné raison avec la prise du beffroi il y a seize ans. Mais aujourd’hui, au bout de son troisième mandat, c’est un nouvel adversaire qu’elle affronte avec Marc de Fleurian. Et le match n’a pas bien commencé…
La suite jeudi 4 avril…
Morgan Railane, directeur de la rédaction d’Aletheia Press
Rappel des différents épisodes sur la vie politique calaisienne
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- Affaire de la BMW : mise au point
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