Reportage pluriel le long de la Côte Ouest de Taïwan, où l’on rencontre des hommes plein de rêves, dans la ville de Taichung, à 160 km au sud de la capitale Taipei.
Un bistrot français et un rêve sémite
Bistrot français, le Gulu’s House est calé au milieu d’une petite rue du centre-ville de Taichung. Ses tenanciers ont la trentaine et sont des expatriés qui ont bourlingué dans le pacifique : Benjamin Fleury en Australie, Laurent Lapôtre en Indonésie et en Thaïlande. Tous deux se rencontrent à Taichung où l’un travaille dans une pizzeria, pendant que l’autre est chef en cuisine.
Benjamin est arrivé à Taïwan il y a 10 ans. Son épouse est de Taichung. Ils se sont rencontrés en Australie : « je faisais les saisons entre Saint-Malo et Taichung. Ensuite on s’est marié et j’ai eu un Open Work Permit » raconte t-il en passant sa main dans les cheveux de son fils Mathis, 10 ans. Dans un centre commercial, il travaille pour un belge qui ouvre une brasserie. Il y rencontre Laurent, manager, belge lui aussi. Benjamin enchaîne en faisant traiteur de pâtisserie chez lui. Et tourne dans des publicités locales… De son coté, Laurent travaille dans une pizzeria pendant que Benjamin passe des entretiens à Taipei. Il finit par prendre un contrat au Gulu’s house où il officie pendant 18 mois comme chef. « Le patron voulait partir et m’a proposé de reprendre. Mon second était taïwanais. On l’a fait ensemble » ajoute-t-il. Ce dernier est remplacé par un franço-taïwanais avant que Laurent n’arrive et reprenne les parts du dernier parti.
Chartreuse à l’oeil !
Les nouveaux associés sont proches d’une grande artère du centre : « la rue n’est pas chère, 800 euros/mois contre 3 à 4 000 euros sur les boulevards » explique Laurent. Le Gulu’s house est déjà une enseigne connue à Taichung. Le créateur a tenu le restaurant pendant 10 ans. Puis un repreneur a fait quelques années avant que les deux compères n’y entrent. Une année se passe avant que le Covid ne bouleverse la donne. « La frontière était fermée. Quand on a rouvert, on était plein tous les jours pendant une année. Ça a fait exploser notre popularité » sourient-ils. La grande saison s’écoule d‘octobre à février, où le nouvel an chinois permet de fermer quelques jours. « Tout le monde prend ses vacances à ce moment-là. Ici, les gens sont très famille-campagne » rappelle Benjamin.
Le restaurant tourne à souhait. La recette du succès ? « On croit que c’est une question d’accueil. On a une ambiance très familiale. On offre à tous nos clients un verre de chartreuse. On est le seul restaurant à faire du traditionnel français. On cuisine au beurre. Les fromages viennent de France, les moules du Mont Saint-Michel, les huîtres de Cancale, on ne sert que des vins français. L’eau, c’est de l’Evian ou du Perrier. Pour la viande, c’est impossible de l’importer. On a du bœuf de Nouvelle-Zélande. Et du porc noir de montagne, de très bonne qualité » expliquent-ils.
Peu à peu, ils se sont acculturés au mandarin. Laurent a pris des cours et le parle parfaitement. Benjamin est en cours accéléré avec son fils et son épouse. La discussion s’élargit. « C’est un peuple très hospitalier. Ici, il y a des tribus d’aborigènes, il n’y a pas que des chinois. Ils ont de multiples dialectes et même des emprunts au français : chaud pour chaud et pain pour pain » aligne-t-il encore.
« Pour autant, un étranger est expulsé s’il viole la loi. Un étranger qui vit ici a une Access Résident Card. Renouvelable ». Les expatriés en ont encore dans le ventre : ils ouvrent en ce moment leur second établissement : le Pasta’s house.
Un rêve avant cauchemar
Le soir, pour moi, c’est retour à l’hôtel et collation avec une soupe de bœuf à légumes disparates. Je m’enquiers de la présence de « Zack ». Mais personne ne répond dans sa chambre. Il arrive vers 22 heures et s’installe à mes côtés. On partage la soupe et le vin. Politique, religion, histoires personnelles meublent la soirée. On rêve de paix et on va se coucher. Demain, départ à l’aube en compagnie d’un Typhon qui menace depuis hier la côte sud de l’île… On attend des rafales à 280 km/h ; le Salon de l’outillage ferme ses portes prématurément. Pourquoi les transports publics sont-ils maintenus ? J’irais voir les arbres à litchis. Sous la pluie et le vent. Un frisson, c’est chouette.
Morgan Railane, Taïwan, 5 octobre 2023