Aletheia Press se projette régulièrement à l’étranger et observe notamment des phénomènes géopolitiques dans certaines régions du Moyen-Orient. Nous partageons avec nos lecteurs et nos clients notre récent carnet de route dans le sud irakien où nous nous sommes rendis à Najaf, Kerbala, Bassorah et Zubayr. La première abrite le tombeau de l’Imam Ali, successeur désigné du prophète de l’Islam pour les chiites ; la seconde est dotée du mausolée de ses deux fils, Hussein et Abbas. La troisième est la grande ville du sud irakien entourée de puîts de pétrole. Invités pour un colloque centré autour de la vie et l’œuvre d’un grand ayatollah récemment disparu, nous avons passé 7 jours dans ces 4 villes.
8 juin 2022. Baghdad – Najaf
Arrivés à l’aéroport de Baghdad, une voiture nous attend. On roule vers la « noble » capitale du chiisme mondial avec l’aube qui point au loin dans le sud.
Dans la vieille ville, les bâtiments religieux du Centre Hazarat Fatima Zahra ont poussé comme des champignons. Une série d’immeubles de type persan, les uns à la suite des autres, forment une plate-forme qui vient « raccorder » la face Ouest du Mausolée à l’entrée principale du cimetière de Wadi Salaam. En 2017, le site n’était qu’un gigantesque trou où les irakiens coulaient des tonnes de béton. Sur le panneau contigu à l’entrée, un immense portrait du « Haj » Qassem Soleimani, général iranien tué – « mort en martyr », dit-on ici – par les forces américaines le 3 janvier 2020.
On passe devant l’hôtel des Ismaéliens et l’on apprend qu’ils en ont cédé la gestion aux iraniens. A cet endroit stratégique de la vieille ville (on est près de Bab at-Tusi à quelques centaines de mètres du mausolée de l’Imam Ali), les iraniens ont construit un nouveau consulat sur 8 étages avec une magnifique antenne longues ondes. Preuve que l’activité administrative a cru avec le nombre des pèlerins perses qui viennent rendre visite au premier imam des musulmans de rite chiite. Preuve aussi que la légitimité religieuse de la cité de Najaf est hautement considérée à Téhéran et à Qom, l’autre ville-phare des institutions religieuses chiites.
Le chiisme, c’est deux écoles de pensées radicalement différentes. Si les deux grandes branches reconnaissent les 12 Imams qui descendent du prophètes comme sources de savoir et d’exemple, ils diffèrent dans leur appréhension du corps social et politique. La première, najafie, quiétiste, garde à distance la politique. La seconde, issue de la révolution iranienne en 1979, entend la contrôler. Entre elles, une « pax fraternae » dont les contours diffèrent selon les époques et la personnalité des hauts dignitaires…
Une capitale religieuse
En face du consulat iranien, nous prenons place à l’hôtel Kowsar (du nom d’une source du paradis dans le Coran). Montrant l’antenne longues ondes qui surplombe le bâtiment diplomatique, on demande à un chauffeur sur le patio : « c’est pour écouter les sermons des najafis ? » « Istibarat (services secrets) » rigole t-il. Flambant neuf, l’hôtel touche les ruelles qui mènent au mausolée. Partout, les travaux de rénovation et de construction s’enchaînent. Le soukh a connu de profonds changements : les sols sont neufs dans les grandes allées, les plafonds de vieux lambris ont été totalement refaits à l’identique. Les chantiers se poursuivent dans les petites allées contigües. Au centre de la vieille ville, le mausolée de l’Imam Ali qui, selon les najafis, attire plus ou moins 20 millions de pèlerins par an.
Avec sa « jumelle » Kerbala, proche de 68 km et qui abrite le corps de Hussein, troisième Imam des chiites, mort en martyr devant les troupes ommeyades en 680, Najaf abrite la « marjayeh » : l’autorité suprême des chiites dans le monde. Composée au fil du temps des savants les plus érudits et écoutés, sa forme n’est pas linéaire et encore moins fixée de manière définitive. Jusqu’en septembre dernier, elle comptait 4 marjaas, l’équivalent des cardinaux dans la hiérarchie catholique.

Le primat est incarné par Seyed Ali al Hussein al Sistani consiédré par ses pairs comme « le plus savant de tous ». Nonagénaire, cet iranien plein de réserve et de prudence a su intervenir dans les affaires publiques quand l’Irak se trouvait sur la sellette. Il a appelé à des élections démocratiques avant même la chute de Saddam Hussein et a su rappeler à l’ordre le turbulent Moqtada Sadr qui politise le chiisme à des fins électorales. En 2014, Seyed Sistani a lancé une fatwa demandant aux irakiens de s’engager dans la lutte contre Daech. Ali Sistani a reçu le pape François en mars 2021 et a appelé les religions à se mettre au service de la paix. Les autres marjaas sont les cheikhs Bachir an Najafi, d’origine pakistanaise, et l’afghan Mohammad al Fayadh. Le dernier, Seyed Mohammad Saïd al Hakim, est décédé en septembre dernier à l’age de 86 ans.
Passage aux urgences du mausolée de l’Imam Ali
En fin de journée, un malaise me gagne. L’amplitude thermique, entre les intérieurs où il fait parfois 16 degrés et l’extérieur où l’on passe les 45 degrés, a probablement favorisé un virus. La fièvre monte et on m’emmène aux urgences du mausolée de l’Imam Ali. La vieille ambulance traverse tous les cahots des ruelles.
Sur place, un infirmier septuagénaire m’ausculte et grimace devant ma gorge. « Infection ». On me pose sur un des 5 lits qui se succèdent dans l’unique salle de soins. On me tire une goutte de sang du pouce et on me pique la fesse au Voltaren. On me prescrit aussi de l’amoxycilinne. J’informe mon soigneur que j’y suis allergique. Il réfléchit et me donne un plaquette d’anti-histaminiques. Pour contrer les effets secondaires de l’amoxycilline… Un doute m’étreint.
A l’hôtel, j’attends que la fièvre descende quand on vient nous chercher : « le programme continue à Kerbala. Il faut partir »…. On râle et on quitte.
Petit lexique pour bien comprendre…
Hazarat Fatima Zahra : fille chérie du prophète, épouse de l’Imam Ali, mère des Imams Hassan et Hussein.
Wadi Salaam : cimetière de Najaf où sont enterrées plus de 20 millions de personnes depuis le premier d’entre eu : l’Imam Ali en son mausolée. Les premiers corps jouxtent le mausolée d’Ali.
Qassam Soleimani : ce général iranien du corps des gardiens de la révolution est un proche de l’ayatollah Ali Khamenei, chef de l’état iranien. Il opérait en Irak depuis le début de la guerre contre Daesh. Il s’est illustré entre autres pour s’être opposé à la prise de Samarra (où demeurent deux mausolées chiites) par Daesh. Il était une cible des États-Unis.
Ismaéliens : musulmans chiites qui suivent les 7 Imams descendants de Ali contre 12 chez les chiites duodécimains, les plus nombreux.
Bab Tusi : porte de Tusi, savant parmi les fondateurs de l’école chiites au XIème siècle.
Qom : ville iranienne qui abrite le tombeau de Fatima Masumeh, fille de Moussa al Kadhem, VIIème Imam des chiites. Qom abrite le principal centre d’enseignement du chiisme dans le monde aujourd’hui.