Mercredi 3 avril, Marc-Alexandre de Fleurian, le chef de file du Rassemblement Nationale à Calais, a acquis un petit immeuble en plein centre-ville, sur le boulevard Gambetta. Quatre ans après sa défaite aux élections municipales contre Natacha Bouchart, celui qui retentera sa chance en 2026, s’installe au coeur de ville, au grand dam de sa première magistrate qui pétitionnait qu’elle ne permettrait pas au « Front national (sic) de s’installer à Calais ».
Natacha Bouchart enregistre une double défaite. La première étant juridique : puisque le tribunal administratif de Lille a annulé, en mars dernier, la préemption de la ville sur le bien convoité par le candidat du Rassemblement National. La seconde étant politique : puisqu’elle regarde, impuissante, l’installation de son principal concurrent pour 2026. Enquête sur une stratégie perdante et qui s’accroît à 2 ans des prochaines élections municipales.
Calais, automne 2019.
Nous sommes à quelques jours du lancement de l’inauguration du Dragon. Le projet « culturel » de Natacha Bouchart, inaugure aussi la campagne électorale qui s’annonce 6 mois plus tard. Des dizaines de milliers de personnes vont se retrouver dans les rues de Calais et fêter l’arrivée de l’animal fantastique qui va coûter si cher à la ville. (Cf. https://www.mediacites.fr/?s=Dragon+Calais)
Au véritable pays du Dragon, des premiers cas d’un nouveau coronavirus, sont enregistrés par les services médicaux de la province de Wuhan en Chine. Personne encore en Europe ou dans le monde ne se doute de la crise sanitaire mondiale qui s’approche. Dans l’entourage de Natacha Bouchart, maire de Calais qui termine son second mandat, personne n’imagine que l’élection municipale qui arrive va se dérouler dans des contraintes sanitaires drastiques où la date du second tour restera en suspens pendant des semaines : « Nous, on a eu les derniers masques, on a anticipé » nous raconte Natacha Bouchart, quatre ans après. À l’époque, elle vole de conférence de presse en interview : le dragon arrive…
Elle aborde l’élection, fixée les 5 et 22 mars 2020, dans de très bonnes dispositions. Un sondage la voit gagnante au premier tour. De son côté, la gauche se rassemble… Unie via la liste « Respirer » autour de Virginie Quenez (PCF) qui reprend le flambeau de Jacky Hénin, l’ancien maire et député européen communiste et de Yann Capet, ancien député socialiste. Au Rassemblement National, après la candidature de Philippe Olivier à la dernière législative en 2017, on mise sur un nouveau venu : Marc-Alexandre de Fleurian, un jeune attaché parlementaire qui sort d’un début de carrière dans l’armée. Il est le candidat « parachuté » d’un parti qui a de grandes ambitions électorales après la prise d’une partie du bassin minier dans le département. Calais, sa position, son actualité migratoire, la défaite des communistes après des décennies de gestion… Autant d’éléments qui forment, chez les conseillers de Marine Le Pen, une équation gagnante. (Voir notre documentaire : https://www.aletheiapress.fr/index.php/2021/03/21/documentaire-calais-une-campagne-a-couteaux-tires/)
Le jeune candidat cherche immédiatement à acquérir un bien immobilier pour en faire son local de campagne. Il jette son dévolu sur une petite vitrine en plein centre-ville, au 26 boulevard Gambetta. Le petit bâtiment fait quasiment face au théâtre et à la statut de Joseph Marie Jacquard, inventeur d’une partie des métiers à tisser, qui ont fait la gloire de Calais. Le bien se décompose en deux parties : un local commercial au rez-de-chaussée et un appartement au dessus. De quoi militer et résider. Un compromis de vente est signé le 6 septembre 2019.
Le local de campagne : la suite
Comme le prévoit la réglementation, la mairie est avisée de cette vente et a deux mois pour décider ou non de préempter (acheter en priorité devant tout acquéreur) le bien. Ce pouvoir est strictement encadré par la loi (Article L 201 et suivants du Code de l’Urbanisme) afin de garantir la liberté de quiconque. Quand l’intérêt général est engagé, la préemption par une mairie est tout à fait légale et usuelle. Des projets d’intérêts publics prennent ainsi le pas sur les intérêts particuliers. Seulement, au 26 boulevard Gambetta, aucun projet public ne semble nécessiter l’acquisition d’un petit immeuble par la mairie… Si l’avocat de la ville et de l’agglomération invoque le programme « Action Cœur de Ville, mis en place par l’État, afin de créer les conditions efficientes du renouveau et du développement de ces villes en mobilisant les moyens de l’État » (page 3 du mémoire en défense de la ville de Calais)… On ne voit pas la mairie acheter tous les immeubles du boulevard Gambetta. Maître Vos, pour le candidat RN, argue que la préemption n’a qu’une visée politique et cherche à empêcher le candidat RN de s’implanter, voire de se présenter à Calais.
L’avocat de Natacha Bouchart répond que le nom de l’acquéreur (le candidat RN) ne figurait pas sur le document du dossier qu’elle avise le 27 septembre 2019. Et donc que le maire ne pouvait pas savoir que l’acheteur était l’un de ses concurrents. Ce document est une Déclaration d’Intention d’Aliéner (DIA) : un formulaire que remplit un vendeur qui s’apprête à faire affaire avec un acheteur. L’identité de l’acheteur est facultative sur le document en question, mais l’usage fait que le vendeur ne le dissimule pas… Il est hautement improbable que Natacha Bouchart ignorât qu’un de ses concurrents s’installait sur un des principaux boulevards de la ville. Dans son argumentaire, l’avocat de la ville poursuit : « Cette DIA, qui ne mentionnait pas le nom de l’acquéreur pressenti, a été établie par Me Delfly en qualité de notaire et mandataire de ladite propriétaire et ce dernier a donc été le destinataire de l’ensemble des notifications adressées à la suite par le Maire de Calais. A cet égard, par courriers recommandés du 15 novembre 2019 respectivement adressés au notaire et à la propriétaire, le Maire a, pour compléter son examen, formulé une demande unique tendant, d’une part, à exercer son droit de visite et, d’autre part, à obtenir les diagnostics immobiliers requis préalablement à la vente. La visite des lieux a été effectuée le 27 novembre 2019 en présence d’un représentant de la Ville de Calais (Service Action foncière) et d’un représentant de l’agence Guy Hoquet Calais. Au cours de cette visite, le représentant de la Ville a pris un certain nombre de clichés de l’intérieur de l’immeuble en question et s’est vu également remettre l’intégralité des diagnostics immobiliers sollicités ».
Une remontée d’informations qui dénote un intérêt sur cette vente. Le lendemain de cette visite, France Domaines vient estimer le bien à 68 000 euros. Il ne se passe que quelques jours avant que le nouveau Conseil communautaire _ auquel la ville de Calais vient d’adhérer le 1er décembre _ ne délègue, 48 heures plus tard, sa compétence de préemption à sa présidente (Natacha Bouchart). La boucle est bouclée, l’agenda dénote une mécanique d’horlogerie suisse… 10 jours plus tard, Natacha Bouchart, maire de Calais, préempte officiellement le bien. Marc-Alexandre de Fleurian n’a plus d’adresse. Il lui reste alors que quelques jours, pour en trouver une, faute de quoi, il ne pourra pas se présenter dans un peu plus de trois mois.
Natacha Bouchart installe le RN sur les boulevards
Natacha Bouchart ne risque rien. Elle sera élue au premier tour (à 53 voix) distançant largement la Gauche (23 %) et le RN (18 %), qui double quasiment son score traditionnel à Calais pour une municipale. Un an plus tard, Marc-Alexandre de Fleurian réalise 35 % dans le canton 3 de Calais, passant devant la gauche. Aux législatives qui suivent, il challenge le député sortant Pierre-Henri Dumont, ancien maire de Marck et ancien conseiller général et score à plus de 49 % dans Calais intra-muros. En quelques années, Natacha Bouchart a tellement lutté contre le Rassemblement National, que la plante a poussé plus vite que jamais. Après s’être appuyée sur le Front National en 2008, l’avoir ignoré pendant une décennie, puis essayé de le réduire, le maire de Calais aura plongé vers ce qu’elle cherchait à éviter. Natacha Bouchart aura fort à faire d’ici 2 ans pour affronter un adversaire qui grossit.
Morgan Railane, directeur de la rédaction d’Aletheia Press
Philippe Mignonnet : la discrimination parle prix
C’est le second fidèle de Natacha Bouchart dans sa génération. Comme Emmanuel Agius, il est l’un des premiers et loyal soutien de Natacha Bouchart. Adjoint « aux sécurités et à l’environnement (sic!) » et président du syndicat intercommunal de transports en commun (SITAC). Sur la question migratoire, il suit intégralement la position du maire : interdire toute fixation des exilés, encadrer l’aide afin d’interdire aux humanitaires de porter secours aux migrants et réclamer des forces de sécurité avec une permanence entêtée. Reprend-il la proposition du RN qui veut interdire aux migrants l’accès aux bus ? Il se veut prudent et s’en défend : « Pour l’instant, rien n’est formalisé. C’est une étude que l’on mène et en fonction de la fréquentation, on verra. Il y a des tendances hautes sur certaines lignes et à certains horaires. On augmente la cadence en ajoutant des bus de secours ; à chaque fois que le carburant augmente, la fréquentation augmente (…). Ca ne stigmatise personne. Ca ne choque pas que les habitants ne paient pas le bus et que les touristes paient plein pot. On sait que le RN fait une obsession de l’immigration. Moi non ». Son maire ne dit pas autre chose : « Sur ce sujet, comme sur tous les autres, je n’attends pas après le Front National pour savoir et faire ce qui va dans l’intérêt de Calais et de l’agglomération ». L’idée de Philippe Mignonnet, donne un avantage aux locaux, par rapport aux extérieurs. Migrants, touristes, même combat !
Rappel des différents épisodes sur la vie politique calaisienne
#1 A Calais, une BMW pour le président ?
Affaire de la BMW : mise au point
#2 D’une berline à des garages en or
#3 Au pressing de Terre d’Opale Habitat…
#4 A Calais, le bras droit de Natacha Bouchart fait de bonnes
#5 Une nouvelle affaire embarrassante pour Emmanuel Agius
Affaires Emmanuel Agius : mise au point
#6 Calais : un coin d’ombre sur la plage
#7 D’un appartement l’autre…
#8 Natacha Bouchart et le RN : des relations passionnelles
